La Vierge des Tueurs : l’adaptation très réussie du roman en un film haletant

Culture 16 avril 2019 par telemartin.tv


Le roman vous prend à la gorge, le film vous étouffe. Le livre de Fernando Vallejo « La Vierge des Tueurs » plonge le lecteur dans une Colombie moderne cancérisée par la violence. Barbet Schroeder a mis en images ce cauchemar et en a tiré un chef d’œuvre. Prenez votre respiration, barricadez-vous, telemartin.tv vous expédie dans un voyage sans retour.

Le pitch de la Vierge des Tueurs

Fernando Vallejo ( 24 octobre 1942 – Medellín) écrivain reconnu revient à Medellín après une absence de plusieurs décennies. Un soir, il fait la connaissance d’Alexis, un gigolo de 16 ans. Il en tombe amoureux et en compagnie du jeune homme, l’auteur va évoluer tel un zombie dans une ville en proie à la violence quotidienne. Les meurtres ont lieu en plein jour aux yeux de tous sans que personne ne réagisse. La corruption et la cocaïne ont anesthésié les âmes. Fernando Vallejo jette un regard plein de haine sur la région de son enfance et sur l’humanité en général, regard qui rappelle celui de Louis Ferdinand Céline sur ses contemporains dans « Voyage au bout de la nuit ». Pourtant, il se dégage de ces abominations une poésie et un vocabulaire qui vous happent dès le début et ne vous lâchent plus. Il y a cette force de la littérature qui transforme l’aspect sordide en quelque chose de touchant. On en ressort secoué et transformé. Voilà pour la trame du livre qui est à peu près la même que celui du film, le réalisateur étant resté fidèle à ce roman en forme d’autofiction.

L’adaptation semblait impossible tant il est ardu de retranscrire en images de longs monologues intérieurs. Barbet Schroeder a pourtant réussi en faisant de la brutalité et de l’indifférence qu’elle suscite un personnage du film. Le réalisateur approfondit la relation homosexuelle entre le vieil écrivain et le jeune délinquant dont on devine dès le début qu’elle aboutira à une tragédie. Caméra à l’épaule, le danger est partout. À chaque coin de rue, à chaque passant croisé au hasard des déambulations des personnages du film, la mort rôde. Ici on bute pour un rien, un regard de travers, un voisin qui fait trop de bruit. Tuer est une occupation comme une autre. Cela n’empêche pas les assassins de vénérer la Vierge Marie et de redouter la sentence divine quand leur heure viendra. Medellín est à la fois hypnotique et repoussante, agitée et silencieuse.

Une histoire entre fiction et réalité

Le tournage s’est avéré complexe tant la ville de la fiction et celle de la réalité se confondent. Barbet Schroeder avait ses gardes du corps issus de la police qui lui rappelaient régulièrement que sur la liste des risques de kidnapping, il était classé 7 sur une échelle de 10. Barbet Schroeder comme l’auteur du roman a passé son enfance en Colombie. Il a eu pour Fernando Vallejo le même coup de foudre littéraire que celui qu’il avait eu avec l’œuvre de Bukowski, deux écrivains qui nécessitent d’avoir l’estomac solide.

Ce qui sauve le film d’une noirceur totale dans le film et le livre, c’est l’histoire d’amour entre le héros et le jeune délinquant. La passion transcende la mort et parvient sporadiquement à mettre en sourdine les coups de feu. Il y a d’un côté l’innocence d’un garçon de 16 ans déjà habitué à donner la mort, de l’autre le chant du cygne d’un écrivain qui s’accroche à ses sentiments pour ne pas devenir fou. Quand le vieil écrivain pense trouver la rédemption pour lui et son compagnon, le passé revient à la surface et la spirale de la violence recommence.

La frontière entre la vie de l’écrivain et la fiction romanesque est très ténue. Personnage ambivalent et sulfureux, Fernando Vallejo avant d’être connu comme écrivain fut Ministre et Sénateur. Il réussit le tour de force de force d’être détesté des conservateurs colombiens et des intellectuels de gauche. Son anticonformisme et son goût pour la polémique et la provocation l’ont rangé paradoxalement du côté des réactionnaires. Pour enfoncer le clou de cet écrivain adepte de l’autofiction, il pratique un humour noir et un cynisme dans les moments les plus sombres. Avec ce long-métrage, Barbet Schroeder réalisateur fasciné par la figure du mal (voire ses documentaires sur Idi Amin Dada et Jacques Vergès) a restitué avec une ironie glaçante l’atmosphère oppressante de Fernando Vallejo.

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